L'intérêt public majeur de nature économique
(dernière mise à jour le 22/02/2023)
Le Code de l’environnement
contient une section réservée à la conservation des sites géologiques et des
habitats naturels des espèces animales et végétales présentant un intérêt
spécifique particulier. L’article L.411-1 du même code liste plusieurs comportements
interdits vis-à-vis de ces écosystèmes, comme la destruction des sites
géologiques présentant ledit intérêt scientifique. Ces dispositions aménagent
la relation entre aménagement du territoire et protection de l’environnement.
Pourtant, l’article L.411-2 du
même code permet de déroger à cette interdiction sous plusieurs motifs. L’un de
ces motifs n’est autre que « l’intérêt de la santé et de la sécurité
publique ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y
compris de nature sociale ou économique ». La question se
pose donc quant à l’intérêt public majeur de nature économique.
La définition de l’intérêt public majeur
L’article L.411-2 du Code de
l’environnement, transposant l’article 16 de la directive du Conseil du 21 mai
1992 concernant la conservation des habitats naturels, de la faune et de la
flore sauvages, précise le contexte de la dérogation : il ne doit pas
exister d’autre solution satisfaisante et cette dérogation ne doit pas nuire au
maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces
concernées dans leur aire de répartition naturelle.
Par un arrêt en date du 24
juillet 2019, le Conseil d’Etat reprend ces critères de dérogation au principe
de la protection des espèces protégées et de leurs habitats. Ainsi, l’autorité
administrative établit que le projet d’aménagement ou de construction doit
justifier d’une raison impérative d’intérêt public majeur. Si un intérêt
public majeur est démontré et tout en tenant compte des mesures de réduction et
de compensations prévues, il ne doit pas exister d’autres solutions
satisfaisantes. Enfin, ce projet d’aménagement ou de construction ne
doit pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des
populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
La notion d’intérêt public majeur est essentielle pour permettre de déroger au
principe de la protection des espèces protégées et de leur habitat. Seule la
jurisprudence établit une définition de cette notion d’intérêt public majeur. Ainsi,
dans un arrêt du Conseil d’Etat du 9 octobre 2013, SEM Nièvre Aménagement
(N°366803), l’intérêt public majeur se définit comme un projet présentant
« un intérêt public incontestable » présentant « un cas
exceptionnel dont la réalisation se révèlerait indispensable ».
Le cadre européen de la notion
La définition de l’intérêt public
majeur en droit français est essentiellement jurisprudentielle. A l’inverse, le
droit européen offre des éléments clairs de définition de cet intérêt public
majeur. Ainsi, dans la directive Habitats, dans son article 6§4, est prévu
qu’un plan ou un projet peut être réalisé pour des « raisons
impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ».
De plus, « lorsque le site concerné est un site abritant un type
d’habitat naturel et/ou une espèce prioritaire, seules peuvent être évoquées
des considérations liées à la santé de l’homme et à la sécurité publique ou à
des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement, ou à d’autres
raisons impératives d’intérêt public majeur ». Cette directive fixe
donc les caractéristiques d’un tel intérêt. L’intérêt public doit être à la
fois majeur et à long terme. L’intérêt public doit être incontestable, et
porter sur un cas exceptionnel dont la réalisation est incontestable.
D’après les directives européennes
donc, l’intérêt public majeur peut être économique. Le droit français a repris
cette possibilité dans son article L.411-2 du Code de l’environnement sans pour
autant donner d’autres critères de définition. Il faut donc se pencher plus
spécifiquement sur les cas précis où la jurisprudence française a accepté la
notion d’intérêt public majeur d’ordre économique pour déroger au principe de
protection des espèces protégées et de leur habitat.
L’intérêt public majeur reconnu dans la jurisprudence française
Les décisions administratives
sont nombreuses en France pour déterminer si tel projet d’aménagement constitue
ou non un intérêt public majeur. Pourtant, l’absence de définition objective de
la raison impérative d’intérêt public majeur entraîne une analyse concrète de
la part du juge des faits et des motifs invoqués par les pétitionnaires. L’analyse
du caractère d’intérêt public majeur d’un projet est lié à son contexte.
Dans un arrêt de la Cour
administrative d’appel de Nantes du 5 mars 2019, SAS Les moulins du Lohan
(N°17NT02794), en matière d’énergie, le juge administratif a reconnu
l’intérêt public majeur de l’implantation d’un champ d’éoliennes, en Bretagne.
Pour cela, il a reconnu la situation fragile d’approvisionnement électrique en
Bretagne et que ce projet s’inscrivait dans l’objectif d’accroissement de la
production d’énergies renouvelables soutenu par l’Etat.
Dans un arrêt de la Cour
administrative d’appel de Douai du 15 octobre 2015 Ministre de l’Écologie
contre Ecologie pour le Havre (N°14DA02064), sur l’aménagement urbain,
la réhabilitation de friches industrielles peut être qualifiée d’intérêt public
majeur dès lors qu’elle intervient dans le cadre d’un programme national de
mobilisation des terrains publics pour des opérations d’aménagement durable. Le
juge retient l’extension de l’activité économique et la création d’emplois.
Toujours sur le domaine de
l’emploi, dans un arrêt du Conseil d’Etat du 3 juin 2020, Société La
Provençale (N°425395), l’exploitation d’une carrière de marbre blanc a été
reconnue d’intérêt public majeur du fait de la création de 80 emplois dans un
département où le taux de chômage dépasse de près de 50% la moyenne nationale.
Pourtant, il ne suffit pas que le
projet crée des emplois pour permettre de qualifier un projet d’intérêt public
majeur. Cette création doit être particulièrement nécessaire au niveau du
bassin de population considéré. Ainsi, dans un arrêt de la Cour
administrative d’appel de Bordeaux, du 13 juillet 2017 SNC Foncières Toulouse
Ouest (N°16BX01365), le secteur de l’emploi n’étant pas en difficulté, la
création d’emplois du projet n’a pas suffi à ce qu’il soit qualifié d’intérêt
public majeur. Cette décision a été confirmée par le Conseil d’Etat le 24
juillet 2019, Société PCE (N°414353).
En l’absence de toute définition formelle, l’intérêt public majeur économique s’apprécie concrètement par le juge administratif.
Actualité jurisprudentielle Dans une ordonnance du 25 octobre 2022, le Tribunal administratif de Grenoble s’est prononcé sur la suspension de l’arrêté du 20 septembre 2022 du préfet de la Haute Savoie. Cet arrêté portait autorisation environnementale pour l’aménagement d’une retenue collinaire. Dans ce cas d’espèce, le juge
administratif retient un usage essentiellement destiné à la neige de culture, « insuffisant
pour remettre en cause l’urgence qui tient à la préservation du milieu naturel ».
L’autorité administrative ne retient pas la notion d’intérêt public majeur pour
ce projet. |