JURISMONTAGNE
PLATEFORME JURIDIQUE AU SERVICE DES ADHÉRENTS
DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES MAIRES DES STATIONS DE MONTAGNE
CONNEXION

Biens de retour et numérique

Article publié le 29/06/2022
(dernière mise à jour le 29/06/2022)
Description :

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Présentation de la situation

Un arrêt du Conseil d’Etat du 16 mai 2022, Commune de Nîmes, n°459904, met en lumière le lien entre les biens de retour et les biens numériques, attestant dès lors que s’ils sont nécessaires au fonctionnement du service public, les droits d’administration des pages de réseaux sociaux ont le caractère de biens de retour et doivent donc être restitués au concédant en fin de contrat.

Présentation des faits et de la procédure

Dans cet arrêt, il est rappelé que la commune de Nîmes a attribué en 2013 à un opérateur une délégation de service public relative à l’exploitation culturelle et touristique de trois monuments édifiés sous l’Empire romain dans l’ancienne colonie de Nemausus : les arènes de Nîmes, la Maison carrée et la Tour Magne. Cette DSP prévoyait la gestion des services d’accueil, l’animation culturelle, la communication et la valorisation de ces sites historiques.

A l’issue de la procédure d’attribution d’une nouvelle DSP, qui devait prendre effet au 1er janvier 2021, la commune n’a pas retenu l’offre de son ancien délégataire. Tirant les conséquences de cette décision, elle l’a informé de la nécessité de restituer les biens de retour de la concession, en particulier les noms de domaine internet et les droits d’administration des pages de réseaux sociaux.

La société considère alors qu’il ne s’agit pas de biens de retour, et indique que les pages litigieuses seraient supprimées quelques jours plus tard. Cette réponse a conduit la commune à se tourner vers la justice. Le juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L.521-3 du Code de justice administrative, a rejeté la demande de la commune tendant à la restitution des biens. Un pourvoi est alors formé devant le Conseil d’Etat.

Retour sur la jurisprudence antérieure

Pour rappel, les biens de retour sont les biens « nécessaires » à l’exécution du service public revenant obligatoirement et gratuitement au concédant à l’issue de la concession, celui-ci étant regardé comme leur propriétaire ab initio (CE 28 juin 1889 Compagnie des chemins de fer de l’Est, CE 12 novembre 1897 Société nouvelle du casino municipal de Nice, CE 9 novembre 1895 Ville de Paris). Il faut les différencier des biens propres et des biens de reprise. Ces derniers sont simplement « utiles » au service, et ne reviennent au concédant que si ce dernier en manifeste le souhait à l’issue du contrat (CE 1er février 1929, Compagnie centrale d’énergie électrique). Quant aux biens proposes, il s’agit des biens qui demeurent la propriété du concessionnaire (CE 6 avril 1900, Ville de Nantes)

La loi peut néanmoins déroger à ces règles en prévoyant par exemple qu’un bien revienne au concessionnaire, alors même qu’il serait nécessaire au fonctionnement du service public (CE 11 mai 2016 Commune de Douai)

Les trois caractéristiques du régime des biens de retour sont les suivantes : propriété ab initio du concédant, retour gratuit et obligatoire à la personne publique à l’issue de la concession.

Le juge administratif a complété cette jurisprudence en précisant que le retour du bien dans le giron de la personne publique concernerait également :

-        Celui qui ne serait plus nécessaire au fonctionnement du service à l’issue du contrat : CE 26 février 2016, Syndicat mixte de chauffage urbain de La Défense

-        Celui dont le cocontractant de l’administration était propriétaire avant la passation de la concession : CE 29 juin 2018, Ministère de l’Intérieur c/ Communauté de communes de la vallée de l’Ubaye

-        Celui utilisé dans le cadre d’un contrat ne portant pas sur l’exécution même du service public mais sur l’une de ses modalités d’exécution : CE 23 janvier 2020, Société touristique de la Trinité

La jurisprudence a également précisé les conditions d’indemnisation du concessionnaire lorsque le bien transféré n’avait pu être totalement amorti (CE, 4 mai 2015, Société Domaine Porte des Neiges), en cas de concession conclue entre deux personnes publiques (CE 25 octobre 2017, Commune du Croisic) en cas de résiliation anticipée du contrat (CE 27 janvier 2020, Toulouse Métropole) ou le sort réservé aux provisions constituées pour les travaux de renouvellement des biens de retour (CE 18 octobre 2018 Electricité de Tahiti).

Apport juridique de l’arrêt

L’arrêt du 16 mai 2022 admet la possibilité pour la personne publique concédante de saisir le juge des référés mesures utiles afin qu’il ordonne la restitution de biens de retour, et en deuxième lieu, le caractère d’ordre public des biens de retour tel que fixé par la jurisprudence Commune de Douai.

Concernant la classification comme bien de retour, l’arrêt apporte de nombreux éléments de réflexion. Ainsi, le juge confirme apporter une importance particulière aux stipulations contractuelles définissant le sort réservé aux biens à l’issue d’une concession. Le premier réflexe reste de se référer aux dispositions de l’acte de concession, c’est-à-dire ses clauses, ou, en leur absence, sur l’intention commune des parties, pour examiner si elles ont voulu soumettre des biens à la clause de retour. C’est au nom de la liberté contractuelle qu’il reconnaît ainsi la possibilité d’étendre une clause de retour, y compris aux biens qui ne seraient pas nécessaires à l’exploitation du service. La seule limite de cette liberté contractuelle est l’impossibilité pour le contrat de « faire obstacle au retour gratuit des biens nécessaires au fonctionnement du service public à la personne publique en fin de délégation » (arrêt Commune de Douai).

Un bien peut également avoir la qualité de bien de retour alors même qu’il ne figure pas à l’inventaire dressé par les parties des biens faisant l’objet d’un retour gratuit au concédant.

La décision du Conseil d’Etat semble dès lors reconnaître un caractère d’ordre public au régime des biens de retour, tel que fixé par les jurisprudences Commune de Douai et Communauté de communes de la vallée de l’Ubaye : les biens nécessaires au fonctionnement du service public doivent obligatoirement revenir dans le giron du concédant à l’issue de la concession sans que le contrat ne puisse y faire obstacle.

La question prioritaire de cet arrêt n’est pas le conflit de propriété intellectuelle de certains biens, mais la qualité de ceux-ci en biens de retour. Le sort à réserver aux droits d’administration des pages des réseaux sociaux relatives aux trois monuments gallo-romains posait effectivement problème. Il est certes reconnu de longue date que des éléments incorporels puissant faire l’objet d’une propriété publique, à l’image des actions et parts sociales, des marques de fabrique ou encore des logiciels informatiques, et le Conseil d’Etat a d’ailleurs implicitement reconnu le caractère de biens de retour à de tels biens : CE 6 octobre 2017, Commune de Valence.

Deux considérations ont conduit le Conseil d’Etat à juger que les « droits d’administration des pages des réseaux sociaux relatives aux monuments faisant l’objet du contrat étant nécessaires au fonctionnement du service public tel qu’institué par la commune de Nîmes, ils devaient lui faire retour gratuitement au terme du contrat » :

-        Les biens sont les choses matérielles appartenant à une personne ainsi que les droits dont elle est titulaire, ce qui semble couvrir des droits d’administration d’une page de réseau social

-        La mission donnée au délégataire était « d’assurer la promotion des monuments, la communication et la commercialisation touristique régionale, nationale et internationale autour des monuments » gallo-romains notamment via les réseaux sociaux. Les pages des réseaux sociaux comprenant de nombreux abonnés, étant identifiées comme les plateformes officielles de la communication relative à ces sites historiques et constituant des instruments décisifs de leur valorisation et de leur exploitation touristique, elles étaient assurément nécessaires au fonctionnement du service public.

La décision du Conseil d’Etat du 16 mai 2022 rappelle ainsi l’impératif constitutionnel de continuité du service public qui impose qu’à l’issue de la concession le concédant ait en main tous les éléments permettant de la garantir.

 

Cet arrêt vient constituer un fil conducteur précieux pour l’application du régime des biens de retour, à une époque où le numérique bouscule les frontières du droit de propriété. Cette jurisprudence fait ainsi suite à la législation. En effet, le législateur a prévu un régime spécifique de transmission à la personne publique des données collectées par le concessionnaire et des droits de propriété intellectuelle qu’il détient sur celles-ci, en dépit de leur conciliation délicate avec la logique propriétariste des biens de retour.

 

Article L.3131-2 du Code de la Commande publique

 

« Lorsque la gestion d’un service public est concédée, le concessionnaire fournit à l’autorité concédante, sous format électronique, dans un standard ouvert librement réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, les données et les bases de données collectées ou produites à l’occasion de l’exploitation du service public faisant l’objet du contrat et qui sont indispensables à son exécution »