La régularisation contentieuse des plans soumis à autorisation environnementale
(dernière mise à jour le 17/11/2020)
Apport de l’arrêt Cour administrative d’appel de Paris, 31 juillet 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire, n°19PA00805
Présentation de la situation
L’article L.191-1 du Code de l’environnement,
permettant la régularisation en appel d’un vice entachant l’élaboration d’un
schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), vient d’être pour la
première fois mis en œuvre à l’occasion de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de
Paris du 31 juillet 2020, Ministre de la transition écologique et solidaire,
n°19PA00805, offrant ainsi l’occasion d’obtenir davantage de détails sur
cette procédure.
Dans cet arrêt, la Cour administratif d’appel
juge que le vice de procédure peut être réparé devant l’autorité
environnementale par la consultation, à titre de régularisation, d’une autorité
présentant les garanties d’objectivité requises.
Cet arrêt est également l’occasion pour la Cour administrative d’appel d’apporter des précisions quant au degré de normativité et à l’opposabilité d’un SDAGE.
Explication de l’arrêt
Article L.191-1
du Code de l’environnement Si le juge administratif, saisi de
conclusions dirigées contre un plan ou programme mentionné au 1° de l'article
L. 122-5, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas
fondés, qu'une illégalité entachant
l'élaboration, la modification ou la révision de cet acte est susceptible
d'être régularisée, il peut,
après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à
l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation et pendant lequel
le plan ou programme reste applicable. Si la régularisation intervient dans le délai fixé, elle
est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter
leurs observations. |
Le sursis à statuer
Sur le fondement de l’article L.191-1 du Code de
l’environnement, la Cour administratif d’appel de paris prononce un sursis à
statuer en vue de la régulation du vice.
Ce que l’arrêt nous apprend essentiellement c’est que cette possibilité
de sursis à statuer est rétroactive, dans le sens où elle peut intervenir même
pour des jugements antérieurs à l’entrée en vigueur de l’article de loi, qui
date du 10 novembre 2019.
Dans un premier temps, les défendeurs dans cette affaires estimaient qu’un tel sursis à statuer était impossible pour un problème de temporalité, et arguaient pour ce faire du droit communautaire. Pourtant, la CJUE a déjà admis par le passé la possibilité de régulariser a posteriori une méconnaissance du droit de l’Union :
- CJUE, 15 janvier 2013, Krizan, absence de mise à disposition du public des informations pertinentes
- CJUE, 26 juillet 2017, Comune di Corridonia et CJUE, 28 février 2018, Comune di Castelbellino ; omission d’examen de la nécessité d’une évaluation des incidences d’un projet sur l’environnement
Par ces arrêts, la CJUE a rappelé le principe de l’obligation pour les Etats membres d’effacer les conséquences illicites de l’omission. De plus, elle estime que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une régularisation a posteriori mais deux conditions doivent alors être remplies :
- Les intéressés ne doivent pas pouvoir contourner le droit de l’Union européenne ou se dispenser d’en appliquer les règles par le biais des règles nationales lui permettant la régularisation.
- Toutes les incidences environnementales doivent être prises en compte pour l’évaluation effectuée à titre de régularisation. De plus la mise à disposition du public d’informations à titre de régularisation doit être faire à un stade de la procédure où toutes les options et solutions sont encore possibles, afin que le public puisse exercer une réelle influence sur l’issue du processus décisionnel.
Ces conditions
demandées par la CJUE sont respectées par l’article L.191-1 du Code de l’Environnement.
Par ailleurs, le
Conseil d’Etat s’est déjà prononcé dans le sens de la régularisation d’un vice
identique affectant l’avis rendu par l’autorité environnementale, sur le
fondement de l’article L.181-18 du Code de l’Environnement dans l’avis du 27
septembre 2018, ou sur le fondement de l’article L.600-5-1 du Code de l’Urbanisme
(CE, 27 mai 2019,
n°420554, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les
collectivités).
L’arrêt nous
apprend également que même si l’annulation du SDAGE en première instance fait
obstacle à son application pendant le délai imparti pour la régularisation
(article L.191-1 du Code de l’Environnement), elle ne s’oppose pas à ce qu’un
sursis à statuer soit prononcé en appel si les conditions sont remplies. Cet
article peut se mettre en œuvre même si le SDAGE est destiné à couvrir une
période déterminée.
L’objectif de la régularisation contentieuse est de sauver
la légalité de décisions individuelles déjà prises.
Enfin, la Cour administrative d’appel de Pari vient préciser les modalités de la régularisation, en suivant la démarche adoptée par le Conseil d’Eta dans l’avis du 27 septembre 2018 ou la décision du 27 mai 2019 :
è La procédure d’élaboration des SDAGE (articles L.212-1 et suivants, et R.212-1 et suivants du Code de l’Environnement) ne prévoie pas de procédure complémentaire simplifiée mais impose que l’évaluation environnementale soit mise à disposition du public pendant une durée minimale de six mois, un an au moins avant la date prévue d’entrée en vigueur du SDAGE.
è L’avis de l’autorité environnementale recueilli régulièrement devra être communiqué à la cour dans un délai de six mois, l’information du public prenant la forme d’une publication sur internet.
è Néanmoins, si l’avis recueilli diffère substantiellement de celui porté à la connaissance du public consulté, le délai de régularisation sera fixé à douze mois, période pendant laquelle la mise à disposition du public et les consultations obligatoires applicables au SDAGE devront être reprises.
Il ne faut surtout
pas oublier la condition essentielle du sursis à statuer : la Cour doit d’abord
examiner les autres moyens pour pouvoir prononcer le sursis.
Le contenu du SDAGE
Le SDAGE est un document de nature hybride. Il est à la fois :
- Document d’orientation
- Document de planification
- Document normatif
La Cour
administrative d’appel rappelle qu’il résulte des dispositions de l’article
L.212-2 du Code de l’environnement que le SDAGE fixe des orientations et des
objectifs pouvant être exprimés sous forme quantitative en partie : CE, 21 novembre 2018, n°408175,
Société Roybon Cottages.
Le SDAGE peut
également contenir des mesures précises, se traduisant notamment par des règles
de fond avec lesquelles les documents et décisions intervenant dans le domaine
de l’eau doivent être compatibles : décision UNICEM Rhône-Alpes, CE sect, 8 février 2012, n°321219.
La limite tient
alors à des dispositions d’une précision telle qu’elles induiraient un rapport
de conformité pour ces documents et décisions.
Enfin, le SDAGE ne
peut pas imposer légalement directement des obligations aux tiers ni
subordonner les demandes d’autorisations à des obligations de procédure autres
que celles prévues par les législations en vigueur.
L’opposabilité aux décisions individuelles relatives aux
installations classées
Les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l’eau doivent être compatibles, ou rendus compatibles, avec les dispositions des SDAGE : XI de l’article L.212-1 du Code de l’environnement. Cela laisse une marge d’appréciation au juge. Cela inclut :
- Les décisions individuelles prises en application de la législation sur l’eau
- Mais aussi :
o Les décrets autorisant l’aménagement d’une rivière (CE 8 novembre 1999, n°197568, Association de
liaison anti canal du Val de Saône)
o Les déclarations d’utilité publique pour la réalisation d’un équipement
hydraulique (CE, 14
avril 1999, n°185955, Comité de sauvegarde de la vallée de Chambonchard et
CE, 10 novembre 2006,
Association de défense du Rizzanese et autres)
-
En revanche les autorisations
individuelles relatives à des ICPE ne constituent pas de telles décisions (CE 15 mars 2006, Association
pour l’étude et la protection de l’Allier et de sa nappe alluviale, n°264699 ;
CE 10 janvier 2011,
Association Oiseaux nature, Association de sauvegarde des vallées et de
prévention des pollutions, n°317076)
L’arrêt du 31
juillet 2020 estime que les ICPE sont soumises au respect des règles de fond
prévues par le Code de l’environnement, notamment pour les dispositions
relatives aux objectifs de qualité et de quantité des eaux (CE, 17 avril 2005, Société Porteret
Beaulieu industrie, n°368397). Les ICPE
susceptibles d’affecter directement les ressources en eau sont également
soumises dans un rapport de comptabilité
avec les dispositions du SDAGE (XI de l’article L.212-1 du Code de l’environnement)